Ludlow

Court-métrage
16 min

Février 1986, dans la dernière maison à la sortie d’un petit village sous la neige, Mme Byrne a un enfant mais un mari absent. En plein hiver, un intrus dans la maison serait vite repéré... sauf si celui-ci essaye de prendre l’apparence de son fils unique.

"Regardes-moi Hakön. Tu vas voir l'impossible et je veux que tu le racontes à ta mère. Je vais te faire croire ce que tu vois, au moins pour un petit moment."

Lorsque vient l’heure d’aller dormir, que la lumière est éteinte et que je me met au lit, quelque chose est indispensable pour que je puisse trouver le sommeil avec sérénité. Mes deux pieds ne doivent pas dépasser des draps. L’idée que l’une de mes jambes puisse pendre à l’extérieur et être observée par une créature inconnue tapie sous mon lit m’est insupportable. Imaginer qu’une bête (que mon imagination fera grande, naine, velue ou bien même squelettique) m’attrape la cheville de sa main tordue m’empêche complètement de me laisser aller à des pensées plus douces pour m’endormir paisiblement. Bien évidemment, nous le savons tous, ce genre d’histoire n’arrive jamais.

Est-ce que la peur vous aveugle ?

« Ludlow » aussi est une histoire qui n’arrive jamais. Mais comme toute légende urbaine, il suffit qu’une personne nous conte ce récit avec un rythme adéquat et suffisamment de détails pour que cet univers fictif devienne potentiellement réel à nos yeux et c’est là que la magie opère. Bienvenue, peur.

Une mère peut-elle confondre son fils avec un autre ? Un enfant peut-il laisser quelqu’un le remplacer auprès de sa mère ? Quelle est la probabilité qu’un nain perturbé mentalement vienne jouer à cache-cache dans une propriété à la sortie d’un village nordique ? Improbable. Tout comme la créature, tapie sous mon lit, qui guette ma cheville de ses yeux jaunes l’est. Mais cet infime pourcentage qui rend ces évènements probable est bien présent.

« Ludlow » joue avec notre perception. Avec ce court-métrage, nous avons souhaité aborder deux thèmes principaux. Le premier est celui de l’adultère avec son lot d’angoisses et d’espoir (quand il n’est pas prouvé) et ce qu’il peut générer au sein d’un couple. Cette mère de famille est isolée et s’occupe de son fils, tout semble parfait mais le père est aux abonnés absents. Mme Byrne n’est pas complètement à ce qu’elle fait et malgré les apparences, n’est pas complètement avec son fils. Une partie d’elle-même réclame le retour de son mari ou du moins une présence rassurante. Et si finalement un deuxième homme était déjà à la maison ? Rien que pour elle.

Les adultes ont peur de beaucoup de choses

Le second thème est celui de l’abandon d’un enfant. Nous souhaitons, à travers ce récit, faire naître chez le spectateur de la frustration. Celle d’avoir entendu ou vu des choses mais que le bon sens (incarné par Mme Byrne) prenne le dessus sur le sensoriel et rende l’expérience vécue risible aux yeux des autres. C’est une situation que l’on vit tout au long de notre vie mais particulièrement pendant l’enfance. Hakön n’est jamais pris au sérieux par sa mère. N’ayant pas encore les mots et sa mère ne l’écoutant pas (langage de sourds à propos du bonhomme de neige) il est livré à lui-même dans ce conflit et doit prendre la place du père pour faire face à la menace. Il est abandonné par la seule qui peut le protéger. Les adultes ont peur de beaucoup de choses et se détournent de l’essentiel. Seul le nain reste les yeux grands ouverts tout au long du récit.

“La vie c'est un grand disquaire et tout les CD à vendre sont à chier. Mais le truc vraiment cool Hakön, tu sais ce que c'est ? Hein ? C'est que moi.. mon tourne-disque il est.. il déconne complètement, je crois qu'il tourne pas bien.”

On pourrait se demander pourquoi les gens s’intéresseraient à une histoire pareille ? Qu’est ce qui fait que les gens aiment lire ou regarder des récits d’horreur ? La réalité c’est que lorsque nous passons devant les gyrophares et les feux clignotants installés sur le bord de la route, il nous est bien difficile de ne pas jeter un coup d’oeil furtif et un peu honteux à la carcasse du véhicule complètement écrasé par le semi-remorque garé en amont. Dans « Ludlow », nous ralentissons pour observer l’accident.